Hypocrisie ou indélicatesse ?
On traite d’hypocrite quelqu’un qui ne dit pas ce qu’il pense et on admire celui qui ne mâche pas ses mots. Mais être franc jusqu’à la muflerie n’est pas une des plus belles qualités. On n’est pas obligé de blesser les gens sous prétexte de leur dire la vérité. Il est bien plus méritant de tenir sa langue que déballer toutes sortes de méchancetés.
Je ne veux pas dire par là qu’il faut encaisser les coups sans rien dire ou tendre l’autre joue quand on est agressé, bien au contraire. Je suis la première à riposter si je suis attaquée. Je parle de ceux qui ont l’impression d’être au dessus du panier et qui crachent leur venin sans aucune modération. Je me souviens d’une personnalité talentueuse humiliant son interlocuteur et le traitant de mauvais compositeur. « C’est de la merde que vous faites ». J’étais abasourdie, comment peut-on se permettre d’être aussi odieux et méprisant. Pourquoi blesser gratuitement et se réjouir de l'effet produit, par méchanceté, pour se procurer un promontoire ?
La franchise a des limites à respecter, ce n’est pas pour cela que l’on est hypocrite. Je vois aussi que ceux qui ne mâchent pas leurs mots sont en conflit perpétuel avec quelqu'un, comme si c'était leur raison d'exister. Si nous faisions tous de la sorte, le monde ne sortirait jamais de la guerre. Dire la vérité n'est pas un défaut, savoir se taire quand c'est nécessaire est une qualité.
Il m’est arrivé, il y de cela bien longtemps, une trentaine d’années environ, une histoire qui me fait sourire aujourd’hui.
J’avais reçu un couple d’Anglais pour une semaine. Nous étions sur la place du marché quand Déborah (c’était le prénom de la jeune femme) me montra un magnifique dessus de lit avec d'énormes fleurs d’un bleu cru et criard. Je faillis avoir un mouvement de recul mais je n’en laissai rien paraître. Elle me demanda mon avis, elle le trouvait tellement « super », je ne pouvais la contredire et lâchai « oui, il est bien ». Elle ne s’aperçut pas que je n’étais pas convaincue et l’acheta aussitôt. Après tout, chacun ses goûts, je n’ai pas la prétention que mon jugement soit le meilleur (enfin, parfois...). Avant de partir elle me l’offrit dans un bel emballage, certaine d’avoir fait le bon choix. Je suis restée muette, elle l’a certainement mis sur le compte de la surprise et je suis arrivée à la remercier pour son geste attentionné.
«Bien fait pour toi » m’a-t-on dit, à l’époque « il fallait pas dire que c’était beau ». D’abord je n’ai pas dit « beau » mais « bien », c’est différent et je ne la connaissais pas suffisamment pour discuter goûts et couleurs. On dit que c’est le geste et non le cadeau qui compte et c’est bien vrai !
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Lorsque la franchise sert de tremplin à la bêtise, on se surprend à regretter l'hypocrisie.
Guy Bedos
Extrait de "Journal d'un mégalo"